Révélations sur la prise alimentaire d’ajustement

Sur les mers, il y a : des bateaux à moteur, qui se fichent un peu du vent, mais qui sentent mauvais et font du bruit ; des bateaux à voile pure, qui s’embêtent parfois quand le vent n’est pas de la partie, mais qui flirtent avec la félicité lorsque le vent caresse leurs voiles, et puis il y a les voiliers équipés d’un moteur auxiliaire. Ceux-là, ils gagnent sur tous les tableaux, ils rêvent à la voile mais ne galèrent pas quand le vent contrecarre leurs plans.

La prise alimentaire d’ajustement dont je vais parler dans cet article est un vrai moteur auxiliaire pour tous ceux qui naviguent en eaux crues. Apprendre à l’utiliser à bon escient permet de négocier de nombreuses situations délicates sans trop y laisser de plumes. C’est un outil formidable pour naviguer à la voile dans les eaux perturbées du paradigme culinaire et il serait bien dommage de s’en priver.

Quelle que soit votre façon de vous alimenter, vous êtes tiraillé entre ce que vous croyez devoir bien faire et les diverses compensations qui vous permettent de digérer les frustrations induites par ces croyances.

Dans le référentiel culinaire, un peu plus de boue dans le marécage ne change pas grand-chose.

Dans le référentiel crulinaire, une bouse de vache dans une prairie, ça fait tache.

Doublement même, une tache idéologique et une tâche physiologique :

  • idéologiquement, car celui qui se targue de manger sainement, plus sainement que vous en tout cas, serait décrédibilisé s’il était démasqué ;
  • physiologiquement, car celui qui mange vraiment plus sainement que les autres paiera ses escapades en compensations culinaires et les sentira passer.

L’adoption d’un comportement alimentaire différent de celui que nous a inculqué notre formatage culturel et social entraîne des points de friction et des pics de tension qu’il faut apprendre à gérer car ils ont une fonction : faire baisser la tension induite par une privation, quelle qu’elle soit.

Ici, je ne parlerai pas du cas des culinaires, l’OMS et l’épidémie mondiale d’obésité s’en chargent très bien. Je vais donc aborder cette question sur le terrain des crudivores.

Il existe de nombreuses façons de manger cru. Elles sont toutes en décalage avec l’alimentation culinaire et peuvent toutes, à différents niveaux, induire des frustrations déstabilisantes. Il est important de le reconnaître pour comprendre l’utilité des prises alimentaires d’ajustement afin d’apprendre à les gérer au mieux.

Leur fréquence pourra être très variable :

  • de journalière, cru le jour et cuit le soir, ou cru le jour en mono-aliment et salade composée le soir ;
  • à une fois tous les trois jours ou par semaine, voire par quinzaine.

Il n’y a ni règle ni fatalité (tout le monde peut s’améliorer).

La prise alimentaire d’ajustement n’est pas obligatoire : c’est une option qui peut servir de variable d’ajustement physiologique ou psychologique, quelle que soit votre façon de manger cru.

Elle s’avère aussi salvatrice lorsque vous aurez manqué votre cible une ou plusieurs fois dans la journée.
Manquer sa cible signifie que vous avez consommé un aliment qui vous aura laissé sur votre faim.

Il faut entendre par là que, même le ventre plein, vous aurez encore une sensation de faim ou d’insatisfaction au lieu de l’état de sérénité sensorielle attendu.

Variable d’ajustement physiologique

La prise alimentaire d’ajustement peut s’avérer nécessaire pour des raisons énergétiques, lorsque les quantités ingérées dans la journée ont été trop faibles (glucides, lipides et protéines) pour combler les besoins engendrés par une activité physique soutenue.

Elle peut aussi se montrer utile aux personnes qui débarquent dans le cru avec une multitude de carences induites par leur pratique culinaire antérieure. Ces carences doivent être comblées et le système sensoriel se charge de vous y pousser. Certaines d’entre elles pourront l’être avec de faibles quantités et vous risquez d’avoir à nouveau faim peu de temps après.

Pour cette raison, il est important d’adapter le temps de latence entre deux prises alimentaires selon l’importance de la première. Après avoir mangé :

  • 2 rondelles d’oignon, il vous suffira d’attendre dix minutes avant de vous lancer dans une nouvelle prise alimentaire.
  • 3 patates douces, ou 6 œufs, ou 500 gr de viande, vous serez tranquille pour plusieurs heures avant de songer à une nouvelle prise alimentaire.

Certains jours, les circonstances pourront vous pousser à une sixième PA, voire plus, soit pour rattraper un retard énergétique, soit pour combler un autre manque, une autre carence criante en attente

Variable d’ajustement psychologique

Au-delà des frustrations induites par une plage alimentaire trop restreinte, par une pratique approximative ou des connaissances incomplètes, le manque de plaisir à l’origine de cet état peut prendre sa source dans une multitude de domaines n’ayant rien à voir avec l’alimentation : autant de notre passé (souvenirs d’enfance ou d’adolescence – Madeleine de Proust) que de notre présent (difficultés affectives, sociales ou professionnelles).

La frustration, ou l’accumulation de frustrations variées, est un sentiment, ou une difficulté, qui peut toucher n’importe qui à un moment ou à un autre de notre parcours alimentaire (en période de transition alimentaire ou en cas de plage alimentaire trop restreinte) ou de notre parcours de vie et des épreuves qu’elle nous inflige.

Trente années d’observations m’ont montré que nous avions tous besoin d’une soupape de sécurité à certains moments de notre parcours alimentaire pour faire baisser la pression ou passer un cap. C’est une réalité qu’il faut regarder en face. Le nier, ou diaboliser la moindre sortie de route, culpabiliser le moindre écart est, de mon point de vue, une erreur très dommageable pour deux raisons :

  1. 1)    Cela crée et entretient un conflit mental ou psychologique, plus ou moins conscient, entre le bien et le mal. Le bien que je veux et le mal que je ne parviens pas à contrôler. Ce qui conduit à un état assez inconfortable en fond de tâche.
  1. 2)    Cela ferme la porte à une amélioration de la gestion des écarts alimentaires.

Puisque les écarts sont parfois souhaitables, parfois utiles, parfois nécessaires ou encore incontournables, il est de toute première importance d’apprendre à les gérer. L’objectif : savoir en toutes circonstances choisir la moins pire des solutions qui s’offrent à nous.

La Madeleine de Proust

Nous avons tous des Madeleines de Proust, des aliments que nous avons mémorisés avec une forte charge affective pour des raisons extérieures à leurs qualités alimentaires. Pour l’un, ce sera le chocolat ; pour l’autre, ce sera le bœuf bourguignon, ou la pizza, etc.

En cas de situation psychologique difficile, l’une des voies d’évitement compensatoire passe fréquemment par l’alimentation. C’est alors que ces souvenirs, comme des failles, s’imposent pour le réconfort moral qu’ils induisent. Encore et encore, pendant des années parfois.

Une solution consiste à abuser de l’aliment, jusqu’à s’en rendre malade, s’en écœurer carrément. L’objectif étant de court-circuiter la mémoire de la Madeleine en remplaçant son image positive et de bien-être, par une image négative et de mal-être.

Après ce traitement, lorsque vous humerez ou verrez une pizza, vous associerez son odeur ou sa vue au mal-être que vous aurez mémorisé en lieu et place de l’image des copains et des copines avec qui vous les partagiez adolescent.

Repères de choix

Lorsque vous avez décidé de faire un écart alimentaire, que vous en ayez besoin pour des raisons affectives ou psychologiques, soit vous vous laissez guider par vos impulsions, sans aucune autre considération, soit vous avez préparé le terrain.

Préparer le terrain, c’est avoir compris que toutes les transformations alimentaires ne se valent pas. Entre un bol de lentilles germées ou de carottes râpées, même avec une sauce, et des spaghettis au Roquefort, la santé se décline sur une échelle dont il faut avoir une conscience précise.

Préparer le terrain, c’est aussi avoir comparé différents aliments dont vous aurez volontairement abusé. Si vous consommez une grande quantité de riz et que, le lendemain, vous avez des aigreurs d’estomac terribles, alors qu’en abusant autant du quinoa, par exemple, vous n’observez aucune conséquence, vous aurez appris quelque chose d’important sur vous.

C’est ainsi qu’il faut procéder pour se préparer aux excursions culinaires incontournables pour qui veut rester en lien avec le monde.

Lorsque vous vous serez bien préparé, quelles que soient les circonstances, vous pourrez toujours choisir la moins pire des solutions.

Parfois, vous pourrez être coincé par une profonde envie de participer à un repas si important pour vous et votre histoire (un repas familial majeur, une rencontre, etc.) que vous ne pourrez décemment pas vous défiler. C’est là que la botte secrète du cueilleur montre toute sa puissance. En un ou deux jours, le cueilleur aura retrouvé toute son intégrité digestive. Le collecteur récupèrera beaucoup moins vite que ce dernier car l’empilage de plusieurs aliments dans l’estomac entraîne une complexité digestive très lourde… à digérer.

Pour conclure

Manger cru avec raison à notre époque nécessite de travailler à la fois :

  1. 1)    sur le cru pour moins mal manger cru en croyant bien faire, et pour être capable de choisir la meilleure façon de manger cru lorsque vous en éprouverez le besoin (soit pour résorber rapidement un écart culinaire, soit parce que vous avez envie d’être mieux physiquement ou moralement) ;
  1. 2)    sur le cuit pour moins mal manger cuit en étudiant l’impact des différentes transformations alimentaires sur VOTRE santé (par l’observation de votre organisme en réponse à une consommation volontairement excessive d’un aliment).

C’est ainsi que vous parviendrez à baliser des passerelles de communication entre le monde culinaire et le monde crulinaire, tout en préservant au mieux votre santé, sans devoir y sacrifier la dimension culturelle, sociale et affective ou professionnelle de votre histoire.

Pour bien manger cru sans se couper du monde, il est important d’apprendre à manger cru et tout aussi nécessaire de réapprendre à manger cuit.

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Dominique Guyaux

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5 Responses

  1. Oah ! Quelle différence avec ce que j’avais cru il y a trente ans et qui m’avait finalement éjecté, meurtri… après trois ans d’intégrisme alimentaire, d’orthorexie dévote ! Merci encore ! Pour ces pensées qui vont m’accompagner et me soutenir dans le plaisir et la joie !

  2. Oah ! Quelle différence avec ce que j’avais cru il y a trente ans et qui m’avait finalement éjecté, meurtri, après trois ans d’intégrisme alimentaire, d’orthorexie dévote ! Merci encore ! Pour ces pensées qui vont m’accompagner et me soutenir dans la joie ! Jean-Christophe Sekinger
    (téléphone mobile)

  3. Tout à faire d’accord Dominique, j’ai découvert l’alimentation crue il y a trois ans lors d’un stage d’écologie intérieure. Pendant le stage, j’ai voulu faire comme tout le monde, j’avais honte de dire que je mangeais cuit, pour moi c’était un signe de faiblesse. J’avais honte de ne pas réussir à manger cru, et en plus cru instinctif car c’est ce qui me parlait le plus. Résultat des maux de ventre horribles, des douleurs dans les intestins, je voulais mangeais pareil que les autres sans savoir ce qu’était manger cru vraiment.J’avais aussi au fond de moi cette croyance que manger cru était violent pour les intestins, ayant toujours eu un corps très fragile au niveau de la digestion.

    A la sortie de ce stage, je ne me suis pas découragée, je me suis débarrassée de toutes mes fausses croyances, j’ai arrêté d’aller voir des naturopathes pour mes douleurs du ventre, j’ai cheminé par moi même. J’ai lu ton livre, regarder des vidéos sur les transitions alimentaires, et comme j’ai besoin de vivre les choses, j’ai fait un stage d’alimentation sensorielle avec Orianne, de Renaits. Plein de choses m’ont aidé à prendre du pouvoir dans ma vie, mais là, savoir que j’avais le pouvoir de manger mieux, de manger cru, en m’écoutant sans avoir de douleurs et en sentant mes aliments… En apprenant à faire confiance à mes instincts ! Le bonheur !

    Plus de naturopathe, plus de douleurs dans le ventre. Une plage alimentaire pas trop variée ( j’habite en Alsace, j’aime bien consommé local ) donc des retours vers le cuit, souvent le soir en famille, mais toujours après avoir senti mes légumes. Je mange beaucoup moins de céréales, et puis je déconstruit petit à petit, aussi avec mon fils de 23 mois toutes les croyances alimentaires…

    – je mange parfois jusque 8 PA par jour, je suis une petite grignoteuse, et quand j’y arrive, je passe des belles journées, le ventre pas trop chargé, et je digère tout très bien, je fais même l’amour avec des sensations nouvelles

    – j’ai petit à petit laissé tomber le four, quand je re craque pour du cuit, j’essaie le plus possible que cela soit à la vapeur douce. J’ai acheté un vitaliseur, et je m’amuse beaucoup avec

    – je n’ai plus du tout envie de viandes grillées, de pizzas, de tartiflettes, de choses trop lourdes à digérer… Je craque encore pour des yaourts ( là encore c’est émotionnel j’ai été très peu allaitée et nourrie au lait de vache ), et du pain. Le rapport au père et à la mère dont je n’ai pas encore complètement réussie à m’émanciper…

    – j’adore les jus de légumes, je les réalise en sensoriel, je préfère ça qu’à une assiette de coquillette au jambon

    – je teste des aliments les yeux fermés, surtout au niveau de la viande que je n’aurai jamais cru tester ( foie, rognons, … ), et parfois j’adore ça ! (j’ai été pendant quinze ans végétarienne stricte )

    – mon fils est allaité encore à la demande, il a 23 mois et il est attiré naturellement par les aliments crus, en petite quantité, régulièrement dans la journée. Son alimentation principale reste encore le lait maternel et je suis persuadée que la diversification alimentaire des bébés comme elle est faite actuellement est une catastrophe ( purée mixées, tout mélangés, laitage pour compenser…)

    – tous nos amis mangent quasiment cuits, à part Orianne, je pense à aller repasser des vacances chez elle d’ailleurs. Alors quand on va chez eux, on emmène nos crudités, on mange des salades composées avec pas plus de deux aliments, on laisse souffler notre fils qui découvre d’autres choses.. On lâche la pression, on apprend, pas simple d’être crudivores en alsace quand tu veux avoir une vie sociale et ne pas être sans arrêt frustré !

    – j’ai découvert aussi la transmutation des émotions, ça aide à réaliser quand on même de manière émotionnelle, le pourquoi du comment. Plus je guéris mes émotions, plus je suis bien avec moi-même, plus j’oublie de manger, et c’est la fête.

    Voilà, j’en ai fini pour mon roman, pas fini dans mon apprentissage de transition alimentaire, je suis en chemin, mais je vous remercie toi et ORIANNE, vous êtes de belles sources d’inspiration dans cette mer déchainée ou les paquebots ont pris le pouvoir. Bientôt ils n’auront plus de carburants pour avancer, et nous continuerons à courir, gaiement, léger comme l’air, au gré des vents !

    Bon voyage à tous !

    1. Oh une autre cueilleuse en Alsace? Quel secteur? Nous sommes deux Gérald et moi dans le secteur Ribeauvillé-Colmar.

  4. bonjour à tous .

    j’ai connu l’instincto en 1985 , donc depuis 36 ans , je l’ai pratiqué , presque parfaitement durant un an et demi puis je suis revenu à une alimentation beaucoup de cru et le moins possible de cuit , je pense que tout le monde connait ces frustrations, culpabilisations,pulsions alimentaires , etc…, partant de ce constat , je me dis :

    qu’il est pratiquement impossible de pratiquer l’alimentation sensorielle de façon parfaite

    qu’il vaut mieux manger cru car même si on n’ajuste pas parfaitement l’équilibrage de son alimentation , le corps s’équilibrera mieux avec du cru qu »avec du cuit.

    ma conclusion est donc que tout en respectant le mieux possible les règles idéales de l’alimentation sensorielle , je me permets de faire des écarts MAIS DANS LE CRU, ce qui veut dire pour moi : manger de grosses quantités de bananes , de fruits de la passion , dépasser des arrêts avec des picotements dans la bouche , des écoeurements , des fois manger bien que ce ne soit pas super bon etc… mais finalement je me déculpabilise en mangeant cru , mon corps rattrape ces écarts dans le cru et ma santé va bien et j’ai ce bien-être qui accompagne celui qui mange cru : détente physique et mentale , un corps qui ne m’ennuie pas par ses réactions dues au cuit : douleurs , rhume , nervosité, etc …

    merci encore à tous , et particulièrement à toi Dom car nous avançons tous ensemble vers le mieux possible et chaque expérience peut aider d’autres à avancer aussi .( je réside désormais à Abidjan , c’est le climat tropical , c’est l’été constamment avec des fruits tropicaux donc plus facile pour vivre et s’alimenter)

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