Révélation sur le froid des sucres…

Texte de Dominique Guyaux et illustrations de Jo Ross

Trente ans que je navigue en eaux crues, et trente ans que j’entends parler de problèmes de frilosité faisant suite à une consommation de sucres concentrés en fin de journée.

Pénible, mais la soirée est un moment critique pour nombre de nouveaux crus. Et pour cause, nous sommes faits pour recevoir notre dose de plaisir journalière, alimentaire ou affective, mais nous sommes souvent dans une situation bien difficile à cet égard. La norme alimentaire est culinaire et la norme affective est le couple bien verrouillé. Or, le plaisir est une combine mise en place par l’évolution pour que les individus soient poussés par le plaisir à se diriger 1) vers les aliments les plus adaptés à leur survie, et 2) à se reproduire afin que l’espèce survive.


Or, si les deux objectifs sont trompés, l’un par la transformation des aliments et l’autre par une codification sclérosante des relations affectives, la journée s’écoule et la frustration s’accumule au fil des heures. Bilan : en fin de journée, seuls des aliments hyper appétant pourront apporter un peu de réconfort. Et ces plaisirs de substitutions s’obtiennent avec des aliments natifs associés à une grande curiosité sensorielle, c’est à dire les aléatoires dont font parti les sucres concentrés..).

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Mais, aujourd’hui, contrairement à l’époque du cueilleur et du collecteur (de -7 millions d’années à -2.5 millions d’années), ces aliments sont quasiment en libre accès. Résultats : le soir, en peine, pour beaucoup, les sucres concentrés sont une aubaine.

Les sucres concentrés comme les fruits séchés, les dattes, les miels et les fruits frais très sucrés, méritent à cet égard une parenthèse. Maintes explications ont été avancées sur les mécanismes physiologiques à l’origine de ces sensations. Les macromolécules des sucres pourraient obturer les minuscules vaisseaux irriguant les extrémités de nos membres. Quant à la raison d’être de ce mécanisme « réfrigérant », peu d’hypothèses en ont fait état. On est néanmoins en droit de se demander si c’est une réaction normale de l’organisme? Mais quelles pourraient être la ou les fonctions d’un tel mécanisme s’il en existe ?

Pour tenter de répondre à ces questions, essayons de replacer nos ancêtres dans les conditions environnementales de leur biotope originel. Pendant toute la période où ils ont vécu en Afrique (au moins 6 millions d’années), ils ont été confrontés à de longues périodes de chaleur intense. Que pouvaient-ils donc faire aux heures les plus chaudes de la journée ? Chercher de l’ombre ? Probablement, donc des arbres et, tant qu’à faire, pas n’importe lesquels, si nos ancêtres pouvaient aussi y trouver de beaux fruits mûrs et gorgés d’eau, ils ne devaient pas s’en priver.

Imaginons la scène : le soleil s’est levé, il a entamé son ascension dans le ciel et, maintenant, ses rayons ardents deviennent difficiles à supporter. La soif et la faim se font sentir et nos ancêtres se mettent à chercher de l’ombre. Les grandes palmes des cocotiers, caressées par une brise solaire soutenue, s’agitent nonchalamment. Des grappes de noix de coco bien ombragées se laissent aussi caresser par cette brise rafraîchissante. Quelques palmiers dattiers sont dans la même situation. Et pourquoi pas ce manguier, aux fruits bien visibles en ces heures de grande luminosité et où les moindres variations de couleur sautent aux yeux, où les branches et les plus petites prises pourront être utilisées en toute sécurité pour atteindre les plus beaux fruits, ceux qui ont fini de mûrir dans la nuit et dont personne n’a encore eu le temps de se repaître. Bref, le milieu de journée et un moment bien choisi pour se régaler de fruits pleins d’eau et de sucres.

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A traîner ainsi des heures et des heures dans des arbres fruitiers, ça devait bien arriver un jour, dans le creux d’un tronc tourmenté bourdonne une ruche. Comme la chaleur est à son comble, la plupart des abeilles sont aux fleurs et butinent. La ruche est quasiment déserte et nos ancêtres vont bien sûr en profiter.

Statistiquement, la plupart des aliments très sucrés ne se consommaient naturellement qu’à des heures très chaudes, c’est-à-dire à un moment où il est justement tout à fait appréciable de ressentir un certain refroidissement de l’organisme. Ainsi, l’évolution nous aurait dotés d’un système de climatisation interne dont la mise en route serait commandée par la consommation d’aliments particulièrement accessibles lorsque nos ancêtres recherchaient de l’ombre pour tempérer les ardeurs du soleil : les sucres concentrés, bien sûr.

Il est alors logique que la consommation de ces mêmes aliments en soirée ou en hiver, ou pire encore, en soirée d’hiver sous nos latitudes, conduise à un refroidissement bien malvenu de l’organisme. Car si ce mécanisme rend la chaleur plus supportable, une fraîcheur relative fera de vous à coup sûr un être frileux.

De même, une consommation matinale de sucres concentrés n’a (statistiquement) pas trop de sens car, si la veille au soir nos ancêtres s’étaient endormis près d’un arbre fruitier, c’est-à-dire juste après avoir pu en consommer jusqu’à couvrir leurs besoins, il est logique de supposer qu’ils en fussent peu friands au réveil.

La consommation de sucres concentrés en soirée est aussi peu crédible, car plutôt que de rechercher une ombre inutile à l’orée de la nuit, plutôt que de s’obstiner à déceler un fruit mûr à l’heure où tous les chats sont gris, plutôt que de risquer une chute parce que les prises et les distances deviennent incertaines, ceux d’alors, le ventre bien rempli, pensaient surtout à rejoindre un abri ne risquant pas d’attirer quelques visiteurs nocturnes affamés,

Le système alimentaire s’est structuré en fonction d’un environnement donné et ne peut s’exprimer avec toute sa justesse qu’à la condition que l’on s’applique à prendre en compte ces paramètres. Ainsi, consommer des sucres sans tenir compte des conditions environnementales associées à leur cueillette, conduit à penser à une erreur de la nature ou de l’évolution (frilosités intempestives et malvenues). Alors qu’en respectant ces données en ne consommant des sucres qu’en milieu de journée, lorsqu’il fait le plus chaud, on transforme un inconvénient en atout.

Il est intéressant de souligner que si le fonctionnement de notre clim interne (thermorégulation) peut nous poser des problèmes quand il fait froid, c’est tout le contraire quand il fait chaud. Alors qu’autour de vous tous les culinaires sont en nage, vous, crudivore, vous semblez frais comme un gardon.

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Pour illustrer cette réalité factuelle, il est amusant de superposer la scène où nos ancêtres crudivores font la sieste dans la quiétude de leur clim interne, à celle du culinaire qui, aux mêmes heures, écrasé par la chaleur, fait appel à un vent artificiel (ventilateur) puis à une fraicheur toute aussi artificielle (climatisation) pour ne plus transpirer à grosses gouttes.

Alors, oui, on peut se dire que c’est quand même sacrément bien fichu tout ça : nous sommes tous naturellement équipés d’une climatisation interne à déclenchement automatique qui fonctionne à plein avec une alimentation cru et se traîne lamentablement avec une alimentation transformée.

Bien à vous,

Dominique


Texte publié dans « Du cuit au cru » par Médicis Éditions (2022)

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Dominique Guyaux

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9 Responses

  1. Bonjour, merci pour cet article intéressant, comme le reste, d’ailleurs. Toutefois, je m’interroge quant au terme ‘hiver’ a-t-il encore un sens? Je veux dire: nos maisons sont chauffées, nos lieux de travail, les magasins, les véhicules…tout est chauffé, quel impact cela a-t-il sur notre adapatation à l’environnement?

    1. Bonjour, remarque judicieuse, mais là on parle de températures tropicales en milieu de journée, rien à voir avec les températures de nos maisons, voitures et autres bureaux… Entre les deux, il y a au minimum une dizaine de degrés d’écart.

  2. tu sais Dominique beaucoup de ressources vous, thierry, et le monstre Dr Morse et comme débutante je me sens perdue quoi manger et quand? thierry vous dit de préférence après 13h, Morse vous dit que de fruits toi Dominique (d’après ma compréhension) tu nous dit il est préférable de ne pas mélanger les fruits? je ne peux plus faire marche arrière cependant je me sens que je fais du surplace …..

    1. Le plus intéressant pour toi me semble de comprendre pourquoi il faudrait faire comme ci ou comme ça. As tu lu l’Éloge du cru ? Si ce n’est pas le cas tu aurais beaucoup à y gagner en clarification.

  3. bonsoir Dominique , je ne l’ai pas lu parce que on l’a pas en Tunisie je suis en train de lire ton mémoire espérant que je trouve quelques réponses dans ce mémoire. Dominique si tu peux nous parler du contenu de ton livre l’Eloge du cru dans une vidéo merci

    1. Bonjour Bensaid, il est possible d’expédier un livre un Tunisie par la poste… Concernant le contenu de l’Eloge du cru, tu peux aller sur la page de présentation sur ce site (publications). Vidéo? Je vais y songer…

  4. Bonjour Dominique , j’ai terminé la lecture de votre livre « l’Eloge du cru  » j’avais déjà lu celui sur l’AIR et « le régime du plaisir  » . J’ai commencé l’alimentation crue en 2004 guidée par une amie instincto , avec des retours facon Seignalet de temps à autre comme ce fut le cas cet hiver . J’ai commencé des repas de mono-aliment début mars mais pour faire 5 voir 6 repas par jour c’est pas évident . Je dois vraiment faire attention à ne pas ingerer de trop grande quantité
    donc être particulièrement attentive à l’arrêt sensoriel et c’est pas toujours évident . Parfois je dois aller trop loin , la digestion est longue et ne me permet pas de remanger deux heures voir trois heures après je sens bien que mon estomac ne s’est pas encore vidé . Par contre avec les légumes l’arrêt est rapide et là je me sens un peu frustrée au niveau quantité . mais dans l’ensemble le confort digestif est bien là . Voilà pour ma petite experience d’un mois . Une question :faut-il avoir fait un stage chez vous pour faire partie de votre association l’ADA’s ?

    1. Bonjour Jocelyne, joli parcours!
      La création de cette association, l’ADA’s, dont il a effectivement été question, a été abandonnée par manque de temps.
      Je lis aussi dans votre message un certain nombre de difficultés qui me semblent pouvoir se régler avec quelques précisions théoriques et autres ajustements pratiques. En fait, ce qui vous manque, c’est vraiment de suivre une initialisation sensorielle car tout part de là, et ce n’est qu’en passant par là que vous pourrez vous affranchir de ces difficultés. Si vous le souhaitez nous pouvons en discuter par téléphone, j’aurais pas mal de questions à vous poser et ce serait plus facile par téléphone. Bien cordialement. Dominique Guyaux

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